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Quand il ne reste que la violence – Artémis TeParle, 21 ans

21 juillet 2020 - Témoignages

[TW : Auto-mutilation, Mort, Violences, TCA, Sang]

J’ai essayé de dire ce qui n’allait pas, souvent, mais je parlais dans le vide.

Parce que trop jeune pour aller mal. Parce que jugé trop sensible. Parce que AFAB. Parce que c’est plus facile de dire que j’invente que de reconnaître un problème.

Alors je les ai cru. Alors je me suis tue. De plus en plus. Et pas seulement en faisant taire les mots.

J’ai fait taire mon corps et ses stims et ses mouvements atypiques, j’ai fait taire mes expressions faciales et mes sursauts, j’ai fait taire mes yeux et mon sourire, j’ai fait taire mes lèvres, je suis allé jusqu’à faire taire mon cerveau. Je l’ai muselé, alors il a dissocié, longtemps, beaucoup. Il n’a pas enregistré les souvenirs, il n’a pas crié à l’aide, il n’a pas hurlé à quel point il souffrait.

Et ça a failli me tuer.

J’ai dû hurler pour qu’on entende ma détresse, j’ai dû me faire du mal à moi même, j’ai dû décrire des choses que personne ne voulait entendre. Il ne me restait plus que ça : la violence.

La violence des mots qui font mal, la violence des pleurs, la violence envers moi.

J’ai frappé des murs à m’en écorcher les mains et à m’écrouler d’épuisement. J’ai affamé mon corps pour ressentir une faim qui tiraille et qui fait mal. 

J’ai connu les moments où le cerveau hurle, où les pensées tourbillonnent à en donner la migraine et le tournis, où j’entendais dans ma tête ma voix hurler. Littéralement. Mais je n’ai rien dit. Je suis resté impassible. Personne ne voyait la tempête dans ma tête.

Et pour être honnête personne ne voulait la voir. Personne n’était prêt a l’entendre. Alors comment aurais-je pu leur expliquer ça ? Comment aurais-je pu leur dire que penser était parfois si douloureux et si effrayant ?

Le pire ? Quand j’ai réussi à dire que j’avais besoin d’aide ça a aggravé leur incompréhension. Je n’étais plus vraiment moi pour elleux. Je ne savais plus ce que je faisais, ce que je disais, ce que je ressentais. Je n’étais plus capable de discernement à leurs yeux.

Alors que ça avait toujours été ainsi. Les tourbillons dans ma tête ont toujours existé et existeront toujours.

Les pensées qui s’enchaînent et se chevauchent aussi.

On m’a parfois dit que c’était impossible de penser à plusieurs choses en même temps. Mais moi dans ma tête j’ai comme des fenêtres d’ordinateur qui s’alignent et que je peux distinguer en même temps.

Avec le temps j’ai appris à les bouger, à réduire le volume de certaines, à les maîtriser. Mais les tourbillons eux sont toujours là. 

Je les vois. Je pourrais presque les dessiner si leur couleur était reproduisible.

J’ai longtemps voulu effacer ces tourbillons. Mais je sais aujourd’hui qu’ils font partie de moi. Qu’ils sont moi et que je suis eux. Que moi et eux sommes un tout indivisible.

Je suis fou.

Je suis moi.

J’en suis fier.

Et si je veux qu’on m’écoute je ne peux me contenter de parler, parce que ma parole ne vaut rien pour elleux, parce que ces tourbillons leur font peur, parce que ce n’est pas « normal » au sens premier du terme (dans la norme).

J’ai essayé de hurler. Encore et encore. On m’a dit que j’étais encore + fou, que je devais me soigner, qu’il suffirait que je parle pour qu’on m’entende. Mensonge.

J’ai arrêté de hurler. Alors il ne restait plus que la violence brute et sourde. La violence envers moi, la violence du verre qui coule dans mes veines, la violence du sable dans ma tête, la violence de repousser les limites de mon corps, la violence de blesser la chaire pour faire sortir ce qui ne peut être dit.

Il ne me restait que la violence envers moi.

Aujourd’hui j’ai aussi la violence envers elleux.

Je suis en colère contre celleux qui ont muselé ma parole.

Je suis en colère contre celleux qui m’ont nié le droit d’exister en tant qu’être humain.

Je veux que ma violence soit pour elleux. Parce que c’est tout ce qui me reste. Parce que c’est tout ce qu’iels entendent.

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