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Internet et handicaps, la vraie vie derrière l’écran – @En_Corps_

24 août 2021 - Témoignages

Ma vraie vie en ligne.

On entend souvent l’expression IRL (In Real Life) et IVL (In Virtual Life) quand on navigue sur les réseaux. Pour ceux ne parlant pas anglais c’est l’opposition en « vie réel en physique » et « vie virtuelle ». 

Aujourd’hui j’aimerais expliquer pourquoi ces deux mots n’ont pas de sens pour moi, et pourquoi ma vie sur les réseaux est vraie et réelle. 

Je suis une personne handicapée physique et avec une neuroatypie. Je vis dans un appartement en ville avec ma chérie. Je pense que si on comptait mon nombre d’interactions sociales et physiques par semaine elles seraient… Inexistantes. J’ai environ 2 interactions par semaines imposées : un employé de commerce et le SDF avec qui je prends le temps de discuter le samedi. Il y a plusieurs explications à la pauvreté de mes interactions sociales.

Premièrement le manque d’accessibilité, quand je dois sortir je le fais dans un lieu que je sais accessible, sinon je dois prévoir mon trajet et vérifier chaque paramètre pour être sûre que je pourrais me rendre où je souhaite. Autant vous dire que la deuxième option me mange un temps et une énergie que je n’ai pas. Si je prends le bus, l’arrêt est-il accessible ? Ce bar a l’air bien mais la musique n’est-elle pas trop forte ? Aller au restaurant oui mais la carte est-elle compatible avec mes allergies ? Pourrais-je rentrer dans ce cinéma pour voir ce film dont on me parle dans cesse ? 

Donc au final je vais dans des lieux habituels où je ne rencontre personne. 

La seconde explication étant que les interactions physiques me fatiguent beaucoup. J’ai du mal à comprendre les gens, à dialoguer et à m’adapter aux autres. Donc chaque nouvelle rencontre est une source d’angoisse et aussi de stress physique. La personne va-t-elle faire l’effort de s’adapter à mon fonctionnement ? Vais-je arriver à tenir une conversation de plus de 3 minutes ? Mon corps supportera-t-il le rythme ? La température ? La sortie tout simplement ? Cette personne m’en voudra-t-elle si j’annule au dernier moment parce que je suis trop fatiguée ?

Et enfin, souvent ça revient cher et je n’ai pas beaucoup de moyen, 900€ d’AAH c’est pas la richesse. Sortir boire un verre ou aller au ciné régulièrement ça rentre pas dans le budget.

Bref voir des gens physiquement est compliqué et souvent ils refusent toute adaption dans mon sens quand je me fatigue et m’efforce de m’adapter à eux… 

Quand à mes interactions en ligne, elles sont nombreuses et plus simples. C’est un lieu qui m’est physiquement accessible. Un lieu auquel j’ai accès même depuis mon lit en crise de douleur. Je peux trouver des zones, pan de réseaux, forum, ou groupes regroupant des gens qui me ressemblent en un simple clic. Des gens qui peuvent me comprendre et s’adapter à moi car ils vivent des choses similaires. Ce qui dans la vie physique est très compliqué à trouver car il n’y a pas ou peu de lieu de regroupement et je n’ai pas assez d’énergie pour y aller bien souvent.

Donc en ligne je peux discuter avec ces gens et je peux le faire en décalage. Je peux leur parler pendant 3 minutes, puis décrocher et y revenir 2h plus tard. Je peux relire les messages et comprendre et me souvenir de quoi nous parlons. 

Et ces gens avec qui j’interagis quotidiennement, à qui je raconte ma vie, mes difficultés et mes joies, deviennent ma vraie vie. Ce ne sont pas juste des pseudo mais des amis, des soutiens et des repères. Je m’inquiète pour eux comme ils s’inquiètent pour moi. Et je me réjouis aussi sincèrement pour eux qu’ils le font pour moi. 

En ligne j’ai pu militer, organiser une campagne de sensibilisation, communication et une pétition qui concerne ma vie, mon autonomie. J’ai pu avoir un impact direct sur des lois qui me concerne, sur ma vie. J’ai eu des rencards en ligne, sur des jeux vidéos. J’ai eu des relations sexuelles grâce au virtuel. J’ai pu revoir des amis parti loin que je n’ai plus la force de visiter physiquement. J’ai me suis déconstruite et instruite en ligne. 

Ma vie entière, ses piliers et ses repères sont en ligne. C’est ma vrai vie parce que c’est celle qui m’est accessible. Quand vous dîtes « internet c’est pas la vrai vie », c’est faux. Pour toute une partie de la population c’est leur vie et leur seul moyen d’interaction. Et c’est pas une mauvaise chose, ni une bonne chose, ça existe. Parfois c’est par choix parfois par obligation. Mais je suis heureuse d’avoir le droit à une vie sociale, une vrai, même si elle est dématérialisée.

Par @En_Corps_ (sur Twitter)

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